Le message de Paul-Arthur Fortin en faveur de cégeps plus entrepreneuriaux

10 décembre 2018

Par Raymond-Robert Tremblay, coordonnateur du PEEC

Le 17 octobre 2018, Paul-Arthur Fortin, considéré comme «le père de l’entrepreneuriat au Québec», nous accordait une entrevue exclusive concernant l’entrepreneuriat et le développement des régions. Il y aborde notamment le rôle des cégeps en entrepreneuriat éducatif.

Pendant de nombreuses années, Paul-Arthur Fortin a été associé à la cause du développement local et régional par le truchement de l’entrepreneuriat. Il a mené des recherches sur la culture entrepreneuriale et sur les valeurs qui s’y rattachent. En 1980, monsieur Fortin a initié la Fondation de l’entrepreneurship dont il a été le premier PDG de 1989 à 1990. Paul-Arthur Fortin a publié notamment «Devenez entrepreneur, pour un Québec plus entrepreneurial», et aussi «La culture entrepreneuriale, un antidote à la pauvreté.» Ces livres sont des classiques du genre. Il nous dit: «j’ai été témoin, acteur dans certains cas, maintenant spectateur attentif».

Paul-Arthur Fortin

Raymond-Robert Tremblay – Peut-être que vous ne l’aviez pas prévu, mais vous avez été bientôt le premier président du conseil et par la suite le premier directeur général du Cégep de Jonquière, fondé en 1967. Dès ce moment, vous inscrivez votre action suivant une orientation entrepreneuriale. Pourquoi et comment le milieu a-t-il réagi?

Paul-Arthur Fortin – Bien, en fait, si vous voulez, comme je mentionnais tantôt, il y a beaucoup de choses qu’on ne nommait pas à ce moment-là. Dans le sens qu’on ne parlait pas d’entrepreneurship dans ces années-là. (…) Or moi j’étais impliqué au conseil régional de développement, je travaillais dans le sens qu’il faut créer des emplois dans la région. J’avais déjà fait des recherches sur les petites entreprises, donc j’avais ça derrière la tête et je véhiculais peut-être par ma présence ou par la proximité des gens, le goût de prendre des risques de foncer. C’est de même que Serge Godin, qui est devenu le PDG de CGI, qui est le fondateur de CGI a pris le pouce sur ces airs d’aller là : on se prend en main, on se développe, on crée des choses!

Raymond-Robert Tremblay – Et ça, c’était partagé au Cégep de Jonquière à l’époque cette approche-là?

Paul-Arthur Fortin – En fait, ce qui était partagé au Cégep de Jonquière – c’était un cégep qui était très ouvert. D’abord il y avait déjà des laïcs sur le conseil d’administration. C’était un collège classique, traditionnel, mais où déjà c’était mixte, les filles et les garçons, donc il y avait un vent de fraîcheur dans le collège. (…) Moi je peux dire, quand j’étais au Cégep de Jonquière, j’ai eu la collaboration du milieu, j’ai eu l’appui des membres du conseil d’administration et du personnel enseignant à 200%. On a fait un paquet de choses, et on en aurait fait encore beaucoup plus si des bonnes âmes n’avaient pas veillé pour nous arrêter!

Raymond-Robert Tremblay – Revenons à l’implantation des cégeps. À partir de 1967 il y a une douzaine de cégeps, je pense, qui vont naître à peu à peu près en même temps. On a anticipé un cul-de-sac au niveau de l’emploi, à plus ou moins court terme, particulièrement en région, parce qu’on se demandait comment accueillir tous ces nouveaux diplômés. Quel est le rôle des cégeps en faveur du développement économique régional?

Paul-Arthur Fortin – Ma vision des choses : juste donner un exemple. Quand j’ai commencé mon cours classique qui était le moyen obligé pour accéder à l’université dans la période où j’ai commencé dans les années 50 : il y avait 800 étudiants sur huit ans, au séminaire de Chicoutimi. Évidemment c’était masculin. Quand j’ai quitté le Cégep de Jonquière en 72, quand j’ai quitté la région, il y avait 8000 étudiants dans les quatre cégeps de la région, sur deux ou trois ans. C’est bien évident qu’il y avait leur bassin de gens qui, à plus ou moins long terme en tout cas, allaient graduer. Ou bien on trouvait les moyens dans la région d’offrir des opportunités aux gens qui allaient graduer, ou bien ces gens-là quitteraient pour Québec, pour Montréal, pour ailleurs. (…) Et là ta population vieillit plus rapidement, la population diminue, enfin, c’est le problème du Québec, du Québec en général, mais particulièrement des régions ressources.

L’entrevue accordée le 17 octobre 2018.

Raymond-Robert Tremblay – Mais croyez-vous que la promotion de l’entrepreneuriat peut être une façon de retenir cette jeunesse diplômée en région?

Paul-Arthur Fortin – Mais certainement, enfin oui, je dis «j’y crois». D’ailleurs, pour prendre un exemple sur l’ensemble du Québec actuellement, c’est que d’abord à peu près toutes les régions du Québec disent actuellement, haut et fort, on l’a entendu aux dernières élections, on manque d’employés. Évidemment à Montréal et Québec, c’est plus fort que d’autres, parce qu’il y a plus d’entreprises, mais même dans les régions on manque d’employés on manque de monde. Il faut favoriser l’immigration et l’immigration en région, etc. Donc c’est très clair pour moi, si on veut des emplois ça prend des entreprises, si on veut des entreprises, ça prend des entrepreneurs, puis le potentiel entrepreneurial, il existe chez nous, il existe dans nos milieux dans nos familles pour créer les entreprises et les emplois dont on a besoin. Or, à partir du moment où on est convaincu de cela, comment on fait de la pédagogie de ça? Comment on se partage les tâches puis comment on suscite cette éclosion-là d’entreprises dont on a besoin pour s’occuper du pain et du beurre, pour s’occuper des jeunes, s’occuper des aînés, etc.? Donc oui, j’y crois, et de plus en plus et d’ailleurs: on a la preuve que ça fonctionne actuellement, c’est que les gens disent «on manque d’employés» et moi je trouve que c’est un beau problème, j’espère qu’il va durer longtemps puis qu’il va grossir. J’espère qu’il va y avoir plus d’entrepreneurs encore, qui vont avoir des occasions, qui vont faire des choses, etc. (…)

Raymond-Robert Tremblay – Il y a eu un bout de temps où, peut-être dans les années 80, 90, on faisait la promotion de l’entrepreneuriat à travers le plan d’affaires. Aujourd’hui, c’est un petit peu abandonné parce que c’est un peu rêche. Souvent nos entrepreneurs, c’est des créateurs c’est des gens émotifs, puis ce n’est peut-être pas la meilleure approche. Qu’est ce que vous pensez des nouvelles approches d’aujourd’hui?

Paul-Arthur Fortin – Au fond, quand on parle de culture entrepreneuriale, je vais un peu plus vite. On dit la culture entrepreneuriale, c’est une culture, par définition des valeurs partagées et quand on parle des valeurs nous ce qu’on préconisait minimalement, c’était quatre valeurs qui sont l’autonomie, la responsabilité, la créativité, la solidarité. Mais moi j’ai posé la question dans une conférence que j’ai faite un peu partout au Québec et même à l’étranger, quel parent ne souhaite pas ces valeurs-là pour ses enfants : l’autonomie, la responsabilité, la créativité, la solidarité? Autrement dit, ça ne sent pas l’argent nécessairement, mais c’est un préalable à la création d’entreprise. Autrement dit, un entrepreneur qui est dépendant ce n’est pas un entrepreneur. Si quelqu’un n’est pas responsable, ça ne peut pas être un entrepreneur. S’il n’a pas de créativité, ça ne peut pas être un entrepreneur. Puis, bon, peut-être la solidarité c’est peut-être quelque chose d’ajouté, mais moi je pense qu’aujourd’hui la solidarité est importante. Il faut que l’entrepreneur soit solidaire avec son milieu, faut qu’il soit solidaire avec les employés, solidaire avec le client. Enfin, c’est une valeur. Donc, pour répondre à votre question ce n’est pas nécessairement la promotion du plan d’affaires, c’est d’enraciner dans le cœur, dans l’esprit des gens, des valeurs comme celles-là. Ce qui prédispose ces jeunes qui ont ces valeurs-là, je dirais qu’ils ont quelque part des prédispositions à aller plus loin. Certains créeront des entreprises, certains autres reprendront des entreprises existantes, d’autres transformeront le milieu, mais quelque part il y aura du renouveau dans leur carrière, dans leur cheminement, parce qu’ils ont des valeurs qui portent au renouveau.

Paul-Arthur Fortin, nommé Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2017, par le PM Philippe Couillard

Raymond-Robert Tremblay – On remarque que les jeunes, dans les cégeps en tous les cas, s’intéressent beaucoup à l’entrepreneuriat social ou à la dimension environnementale ou communautaire de l’entrepreneuriat. Ça rejoindrait la valeur de solidarité?

Paul-Arthur Fortin – En fait, c’est ça, moi je pense que si on va avoir des entreprises qui règlent nos problèmes de société, faut que la solidarité, entre autres, soit là! Je veux dire, il faut que les gens soient solidaires de ce qui se passe dans le milieu, puis de ce qui se passe d’une génération à l’autre aussi. Quand on parle d’environnement c’est sûr que tu ne peux pas te comporter comme s’il la vie arrêtait après toi. Il faut que tu te comportes comme si d’autres gens veulent vivre après toi!

Raymond-Robert Tremblay – Tout ça, ce sont les bases la culture entrepreneuriale?

Paul-Arthur Fortin – Pour moi, ça, ce sont les valeurs minimales de la culture entrepreneuriale. La définition de la culture, c’est des valeurs partagées : alors comment on réussit à partager ces valeurs-là pour avoir une société entrepreneuriale? Idéalement, et un jour ça viendra au Québec, parce que les valeurs habituellement ce sont les parents au premier chef qui les transmettent à leurs enfants. Sauf que bon comme on ne donne pas ce qu’on n’a pas avant que le processus s’enrichisse pour que ça se fasse automatiquement, il y a un rattrapage à faire. La première place où on peut faire du rattrapage, c’est à l’école. (…)

Raymond-Robert Tremblay – Dans le même ouvrage dont on parle «La culture entrepreneuriale : Un antidote à la pauvreté», vous déplorez le fait que les valeurs entrepreneuriales ne sont pas suffisamment enseignées dans les milieux scolaires. C’est peut-être moins vrai aujourd’hui que dans les années 90 où était écrit le livre, surtout au primaire et au secondaire, où vous avez inspiré tout un mouvement. Par contre, après une période plus favorable il y a 25 ans, l’entrepreneuriat a beaucoup reculé dans les collèges et reprend vie depuis trois à cinq ans environ, avec un dynamisme vraiment renouvelé, mais aussi de nombreuses difficultés. Que pensez-vous de l’importance du mouvement entrepreneurial pour l’éducation collégiale?

Paul-Arthur Fortin – Ayant participé à la vie des cégeps, ayant vu tout le potentiel qui existait et qui existe encore sur certains des cégeps, je me dis c’est le lieu par excellence, je dirais pour faire éclater l’expertise entrepreneuriale québécoise! Je pense par exemple à un cégep qui aurait ces vertus-là, ces capacités-là, cette pédagogie d’aider les gens à aller au-delà de leur potentiel; un cégep qui serait reconnu comme étant un lieu où on éclate, où, bon, quelque part tu sors de là et tu as le feu, tu veux faire des choses, tu veux bâtir. Imaginez-vous des cégeps en région actuellement qui veulent avoir des étudiants étrangers, imaginez-vous le «sex-appeal» que ça pourrait avoir! On voit un cégep où la marque de commerce, tu deviens créateur, tu deviens développeur, tu deviens entrepreneur, enfin tu fais des choses : je pense qu’il y a là une opportunité exceptionnelle des cégeps. Le fait qu’il y a de la formation professionnelle, de l’enseignement général, le fait aussi qu’au niveau de l’éducation des adultes, il y a là, ou du moins dans le temps que j’étais là, il y avait là un marché très grand. Quand on parlait de partager des valeurs je dirais que les cégeps ont l’outil de partage des valeurs au niveau d’éducation des adultes, dans les clientèles qu’ils desservent, et aussi au niveau de leur propre clientèle. Or, moi je pense que les cégeps, quand on avait fait le cours-concours «Devenez entrepreneur» et que Louis Drouin qui était à ce moment-là à l’éducation des adultes au Cégep de Limoilou, et président de l’association avait voulu que l’association prenne le relais du concours, j’applaudissais : les cégeps plus l’ont fait pendant quelques années, mais effectivement comme vous dites, il y a eu un essoufflement. Bon les cégeps ont connu peut-être certaines misères financières avec l’encadrement gouvernemental exagéré et puis peut-être aussi que le feu a manqué. Mais moi, je pense, et je vous félicite : vous avez là une occasion unique de réanimer ce milieu-là et de susciter une vocation entrepreneuriale pour l’ensemble du Québec et même à l’extérieur du Québec. C’est le milieu idéal pour faire germer ce milieu-là.

Cette entrevue inaugure le nouveau canal Youtube du PEEC.

Raymond-Robert Tremblay – Oui, c’est aussi ce que je pense. Faut dire que pendant ces 25 années-là, on doit souligner que les braises étaient encore très vives. En particulier, l’association des clubs entrepreneurs étudiants (ACEE) fondée par Micheline Locas, dont on parlait tantôt, est demeurée vivante. Ce sont ses 26e assises cette année et il y a un millier de personnes chaque année; maintenant, c’est devenu très gros, il y a beaucoup de clubs et les jeunes embarquent très facilement. Nous on va dévoiler cette entrevue en primeur dans le cadre de l’Événement éducation / entrepreneuriat E3, deuxième édition, qui est organisé par le Projet d’éducation entrepreneuriale au collège, le PEEC, qui regroupe 22 collèges actuellement, et où on va regrouper 65 personnes qui partagent nos objectifs de tous ces collèges-là et qui chercheront ensemble les meilleures façons de développer l’entrepreneuriat éducatif au collégial. Quel message souhaitez-vous leur adresser?

Paul-Arthur Fortin – Mais en fait d’abord, j’ai un message de fierté et d’encouragement. J’applaudis à cette initiative-là. Vous me faites un beau cadeau parce qu’effectivement je voyais les cégeps jouer un rôle très important dans ce dossier-là. Les universités ont fait des bouts de chemin, mais je pense au niveau collégial qui est déjà du postsecondaire, qui est déjà de l’enseignement supérieur, il y aurait là… Autant les cégeps c’est quelque chose d’unique au Canada, en Amérique du Nord, la structure des cégeps, le concept cégep, et le potentiel cégep est quelque chose d’unique et moi je pense qu’il y aurait-là une vocation additionnelle des cégeps qui feraient rayonner à la fois les cégeps, mais aussi le Québec partout. C’est le lieu où on apprend à se dépasser, on apprend à créer, on apprend à devenir responsable, créatif, généreux, solidaire : alors, bravo! (…) Ce qui est important, je pense, c’est que les cégeps y trouvent peut-être un certain défi ou un certain stimulant, peu importe, enfin, je vous laisse nommer.

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Le PEEC outille les intervenants entrepreneuriaux des collèges afin d’intervenir dans tous les aspects de l’entrepreneuriat éducatif en enseignement supérieur. Ainsi, il favorise la persévérance et la réussite scolaire, de même que l’implication des apprentis entrepreneurs dans leur communauté. En complémentarité avec les autres organismes
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  1. La sensibilisation
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Le PEEC encourage l’apprentissage dans l’action et l’entrepreneuriat responsable et social.

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